dimanche 6 janvier 2008

Le monde est-il encore fait pour aboutir à un beau livre ?




Nous approchons ici, dis-je au maître, d'une grosse objection que j'avais à vous faire... L'obscurité !

C'est, en effet, également dangereux, me répondit-il, soit que l'obscurité vienne de l'insuffisance du lecteur, ou de celle du poète... mais c'est tricher que d'éluder ce travail. Que si un être d'une intelligence moyenne, et d'une préparation littéraire insuffisante, ouvre par hasard un livre ainsi fait et prétend en jouir, il y a malentendu, il faut remettre les choses à leur place. Il doit y avoir toujours énigme en poésie, et c'est le but de la littérature - il n'y en a pas d'autres - d'évoquer les objets.


Connaissez-vous les psychologues ?

Un peu. il me semble qu'après les grandes oeuvres de Flaubert, des Goncourt et de Zola, qui sont des sortes de poèmes, on en est revenu aujourd'hui au vieux goût français du siècle dernier, beaucoup plus humble et modeste, qui consiste non à prendre à la peinture ses moyens pour montrer la forme extérieure des choses, mais à disséquer les motifs de l'âme humaine. Mais il y a, entre cela et la poésie, la même différence qu'il y a entre un corset et une belle gorge...


Je demandai avant de partir à M.Mallarmé les noms de ceux qui représentent selon lui l'évolution poétique actuelle.

Les jeunes gens, me répondit-il, qui me semblent avoir fait oeuvre originale, ne se rattachant à rien d'antérieur, c'est Morice, Moréas, un délicieux chanteur, et, surtout, celui qui a donné jusqu'ici le plus fort coup d'épaule, Henri de Régnier qui, comme de Vigny, vit là-bas, un peu loin, dans la retraite et le silence de sa véranda, et devant qui je m'incline avec admiration. Son dernier livre : "Poèmes anciens et romanesques" est un pur chef-d'oeuvre.
Au fond, voyez-vous, me dit le maître en me serrant la main, le monde est fait pour aboutir à un beau livre...

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