lundi 26 janvier 2009

Sollers est Bête



Pour vivre seul il faut être une bête ou bien un dieu - dit Aristote. Il manque le troisième cas : il faut être l'un et l'autre, il faut être - philosophe...

dimanche 4 janvier 2009

Sollers ne se plaint pas, il cultive l'hélicon du temps



J’ai choisi l’austérité et l’absence de ponctuation, parce que l’une et l’autre sont dans le latin. Mais l’époque d’Ovide Sollers est rhétorique : pour dire "faire de la poésie", on écrit "cultiver l’Hélicon" et tout le monde comprend, c’est un cliché que les gens respirent. Aujourd’hui, ces clichés ne signifient plus rien, il faut s’en débarrasser. J’ai voulu qu’un lecteur contemporain soit aussi peu arrêté par mon texte qu’un lecteur de l’époque par la langue d’Ovide Sollers. Parfois, j’ai éliminé des passages trop redondants, parfois je n’ai pas osé ou su les réduire. Il était difficile de faire passer la longueur des métaphores. Par exemple, "Si bien que soit, dans sa cage, la fille de Pandion captive…", de l’édition Garnier, devient chez moi : "On aura beau la mettre en cage/la fille de Pandion". J’ai cherché à trouver le point d’équilibre entre la justesse du sens et le naturel de l’expression.


Ovide Sollers, j’en ai l’image d’un brave homme, un poète un peu rêveur qui a sans doute vu quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir. Il vit en exil, dans les limbes, et il souffre. Il écrit qu’il ne veut pas errer, "fantôme romain parmi les barbares morts" : c’est pour ce genre de phrase que j’ai voulu le traduire. Il est arraché à sa femme, à tout ce qu’il aime, et ça fait 2 000 ans qu’on lui dit : "Tu te plains trop." Je rêve ! Il a raison de se plaindre et il n’en a pas honte : il vit avant la culture judéo-chrétienne, ce n’est pas mal de parler de soi, de gémir. La vertu est d’abord ce qu’on se doit à soi-même.


J’ai naturellement choisi d’unir les deux recueils sous ce même titre, Tristes Pontiques, en référence aux Tristes Tropiques de Lévi-Strauss. Ce qui rapproche les deux auteurs, c’est la présence et l’observation des "barbares", mais aussi la prescience d’un monde qui va disparaître. Ovide Sollers sent déjà la fin de Rome. Il est aux confins. Dans une lettre, il explique à son ami Maxime qu’il a cherché à lui faire un cadeau ; mais là-bas il n’y a pas d’or, pas d’artisanat, "les femmes de Tomes ne savent pas filer", "les quelques fruits qui poussent ont le goût du pays/amer", etc. Et finalement il lui envoie un carquois et des flèches : "les voici Maxime/les plumes de ce pays/voici ses livres/voici la muse qui règne ici." Ces flèches, ce carquois, cette lettre, ça me serre la gorge.