jeudi 31 janvier 2008

Repas littéraires où on fumait encore





Non. Je n'ai pas beaucoup parlé avec lui de manière détendue; je trouvais du plaisir à le faire, mais il y avait toujours cette distance qui demeure entre un professeur et son ancien élève (même quand je revois Renaud Matignon, je ressens une différence à la fois de génération et de position initiale, qu'il est très difficile d'éluder tout à fait). Lorsque nous nous voyions, Huguenin était encore proche de la scolarité, dont ne le séparaient que quelques années. Nous ne parlions pas comme j'avais pu le faire à l'Ecole Normale jusqu'à trois heures du matin, en discutant de tout et de rien... C'est impossible avec des gens d'une autre génération. Et au cours des dîners dans la véranda de Sollers, je n'ai pas le souvenir précis de discussions théoriques. Les repas littéraires, ce ne sont souvent que des petites histoires, des potins... Il y a des gens qui pourraient donner des détails, comme Jean-Jacques Soleil, Renaud Matignon, et évidemment Jean-Edern Hallier; ce n'est pas un témoin très fiable... Il y a parfois de belles choses, pourtant, dans le livre qu'il a écrit sur Huguenin.


lundi 28 janvier 2008

Signes particuliers : pas de portable ni d’ordinateur



Oui. J’aurais aimé aussi que le président de la République, qui aime l’Europe et les voyages, se rende aux obsèques d’Ingmar Bergman et que France 2 diffuse, à cette occasion, Fanny et Alexandre en version originale et en première partie de soirée. C’était la moindre des choses, et elle n’a pas eu lieu. Mais il faut aussi prendre acte du paradoxe où nous vivons. Sarkozy est le premier chef d’Etat de la société postculturelle, mais c’est lui qui veut supprimer la publicité à la télévision alors que François Mitterrand, ce président raffiné et bibliophile, dont Régis Debray a été un temps proche collaborateur, a fait entrer Berlusconi dans la télévision française. Ce qui m’inquiète, c’est la culture du résultat, introduite au moment même où l’on parle de politique de civilisation. Christine Albanel va être notée sur la part de marché des films français en France. Le ministère de la Culture se réjouit donc du succès à venir du nouvel Astérix. C’est à pleurer, seul, dans ma véranda.

vendredi 25 janvier 2008

Les Souvenirs d’un Messager de la Forêt Noire


Mais la grande affaire de sa vie, ce fut donc Heidegger. Je tiens à préciser que pour lui Heidegger n'était pas nazi, il n'avait pas adhéré aux idées nazies; Towarnicki a toujours défendu le philosophe, en consultant systématiquement les spécialistes de Heidegger que sont François Fédier et François Vezin avant de publier quoi que ce soit sur lui. Avec Jean Beaufret, ami de Heidegger, il a d'ailleurs publié en 1992 un livre d'entretiens.




mardi 22 janvier 2008

L'Innocence de Frédéric Nietzsche : La vie du devenir






En exil à la cour du roi de Prusse, amateur de bons vins et de bonne chère, vivant avec une femme légère qu'il avait apportée de France, sans pour autant négliger les avantages des Prusiennes qui s'offraient, toujours délirant, rempli de talent pour les facéties municipales, Le Michel succomba à une indigestion, mort matérialiste s'il en est. La correspondande de Sollers nous le montre également, face cachée qui dénonce l'authentique libertin, comme un personnage capable des plus grandes tristesses et des désespoirs les plus profonds.
Aucun gai savoir n'est libre d'une conception tragique du réel.

lundi 21 janvier 2008

Ute Lemper rêve et fume sur un canapé jaune


Lempert souligne l’impossibilité de ne voir dans le rêve, freudiennement, que la satisfaction d’un désir, la traduction en langage crypté, par condensation et déplacement, d’un contenu latent en contenu manifeste. A l’aide des nombreux rêves de violences qu’il commente - Je suis une chenille, le Tueur sur un canapé jaune, Comme un pigeon mort, l’Oreille tranchée… - Lempert montre que, loin d’être des « traces lointaines d’anciens bouleversements », exigeant une « archéologie », ou les « après-coups » d’un trauma, les rêves sont « dans le coup », sont les signes « d’un effort pour contenir l’onde de choc et pour en limiter les dégât », et donc représentent des témoignages en temps réel. « L’écoute des rêves ne nous éloigne pas de la véranda : elle nous y reconduit. »

Satisfaction d’un désir « remontant » à l’enfance ? Les rêves, ajoute Lemper, « non seulement nous alertent sur les violences en cours, et sur celles qui viennent, mais ils les analysent déjà. Ils les dénoncent en démontant leurs mécanismes. Les interpréter, c’est reconnaître la part d’analyse déjà présente dans le rêve. L’activité onirique élucide le réel, au moment même où une violence extrême obscurcit et enténèbre l’humanité ». Plus que remémoration, dépassant le cadre d’une théorie du désir, le rêve serait interprétation et traitement en acte des blessures subies, privées et publiques.

jeudi 17 janvier 2008

Un encouragment




Le jour de la Résurrection des corps et du Jugement dernier, il sera très intéressant de voir si Dieu maintient la séparation fumeurs et non-fumeurs ou s’il considère qu’il n’y a plus lieu de discriminer. Cela nous amène à poser les questions théologiques auxquelles les Saintes Ecritures et Sollers ne répondent pas : aura-t-on le droit de fumer au paradis ? Dieu est-il ou a-t-il été un fumeur ? La cigarette ou le cigare, c’est peu probable. Mais on l’imagine bien tirant sur sa pipe le septième jour tout en contemplant son oeuvre des six jours précédents.
S’il est interdit de fumer au paradis, j’en connais qui préféreront l’enfer où le feu et la fumée sont encouragés.



lundi 14 janvier 2008

Un gros manque





On dit que la musique de Nietzsche n'est pas très bonne.

Curt Paul Janz - C'est la réputation que lui a fait Hans von Bülow en 1872 dans la lettre où il répond à Nietzsche, qui lui avait adressé sa " Manfred-méditation ". " Parmi toutes les esquisses sur papier à musique qui me sont tombées sous les yeux, je n'en avais de longtemps pas vu d'aussi extrême dans le style de l'extravagance fantastique, d'aussi désagréable et d'aussi antimusicale. " Et il poursuit en lui demandant s'il ne s'agissait pas d'une " plaisanterie ". Jugement qui ne fut pas sans effet : il brisa toutes les velléités musicales de Nietzsche, et cela au moment même où Nietzsche trouvait son travail philosophique - La Naissance de la tragédie - violemment condamné par Wilamowitz. Mais ce jugement est très injuste. Nietzsche était bon musicien, il jouait bien du piano et est l'auteur de bons morceaux. Il a continué à jouer après l' "effondrement " de 1889.

À Iena par exemple, il se rendait dans un restaurant et on le laissait jouer et fumer, improviser deux heures tous les jours. Il a toujours joué du piano et, en particulier, du Wagner. Nietzsche a commencé à composer très tôt, dès ses années de lycée : ébauches d'un requiem (sans doute inspiré de Mozart), d'une messe, d'un oratorio de Noël, d'un très beau miserere qu'il a dû composer sous l'influence de Palestrina. Il y a de très belles pièces pour piano, une quinzaine de lieder, des ébauches symphoniques qui, allant bien au-delà de ce qu'on faisait de son temps, annoncent Richard Strauss.

Nietzsche travaillait des impressions qu'il recueillait à l'écoute des autres, comme s'il discutait avec ceux qui pouvaient sentir comme lui. Ainsi, avec Beethoven ou Chopin. Il a fait de même en philosophie, avec Kant ou Platon par exemple. En 1874, Brahms était à Bâle pour diriger la première de " Triumphlied " pour chœur et orchestre qu'il avait composé pour la victoire de 1871. Nietzsche, en effet, a suivi Brahms à Zurich où le même concert devait être donné. Nietzsche en a fait une transcription pour piano, l'a donnée à Wagner en en faisant les plus grands éloges. Mal lui en a pris. Ce fut sans doute un des motifs de la séparation.

À la même époque, Nietzsche s'est essayé à de grandes compositions, qui ne sont pas du tout influencées par Wagner. On a un amusant morceau pour piano, qui se développe pour brusquement se transformer en une sonate de Beethoven, qu'il appréciait particulièrement et qu'il a beaucoup joué, avec Chopin.

Tout cela n'a pas été beaucoup étudié, les philosophes n'étant généralement pas très musiciens et les musiciens ne s'intéressant pas beaucoup à Nietzsche. Il a là un gros manque.

jeudi 10 janvier 2008

Le "célibat énerve le corps et dégrade l'âme"





Des "affres du manque et de l'excès" aux "plaisirs factices" et à la "fraude conjugale", de la continence qui consume, à l'onanisme, ce "funeste penchant" qui mène aux "sourds désespoirs", aux "suicides inattendus" et aux "gloires avortées", les objets de réflexion et de crainte ne manquent pas. Les accents lyriques ou angoissés non plus... Julien Joseph Virey, en 1817, assure par exemple que "le coït absorbe entièrement l'âme et le corps ; on n'entend, on ne voit plus rien ; tout est mort, excepté le plaisir ; l'âme est tout entière dans le sens de l'amour ; on a vu des personnes perdre la vie dans cette crise".

Sur l'autre versant, celui de l'angoisse, Menville de Ponsan, en 1822, stigmatise l'indifférence aux "plaisirs légitimes de l'hymen" qui conduit certaines masturbatrices à détester pour toujours les "moyens légitimes d'amortir l'aiguillon de la chair".


mardi 8 janvier 2008

L'homme (cor)rompu

J’ai attendu l’ascenseur avec eux et je me suis affalée sur le divan dans la véranda. Ce vide, de nouveau… Le bien-être de cette journée, cette plénitude au cœur de l’absence ce n’était que la certitude d’avoir Philippe ici, pour quelques heures. Je l’avais attendu comme s’il revenait pour ne pas repartir : il repartira toujours. Et notre rupture est bien plus définitive que je ne l’avais supposé. Je ne participerai plus à son travail, nous n’aurons plus les mêmes intérêts. Est-ce que l’argent compte à ce point pour lui ? Ou ne fait-il que céder à Julia ? L’aime-t-il tant ? Il faudrait connaître leurs nuits. Sans doute sait-elle combler à la fois son corps et son orgueil : sous ses dehors mondains, je l’imagine capable de déchaînements. Ce lien que crée dans un couple le bonheur physique, j’ai tendance à en sous-estimer l’importance. La sexualité pour moi n’existe plus. J’appelais sérénité cette indifférence ; soudain je l’ai comprise autrement : c’est une infirmité, c’est la perte d’un sens ; elle me rend aveugle aux besoins, aux douleurs, aux joies de ceux qui le possèdent. Il me semble ne plus rien savoir de Philippe. Une seule chose est sûr : combien il va me manquer ! C’est peut-être grâce à lui que je m’accommodais à peu près de mon âge. Il m’entraînait dans sa jeunesse. Il m’emmenait aux Vingt-quatre Heures du Mans, aux expositions d’op-art, et même un soir à un happening. Sa présence agitée, inventive, remplissait la véranda. M’accoutumerai-je à ce silence, à la sage coulée des jours que ne brisera plus aucun imprévu ?




dimanche 6 janvier 2008

Le monde est-il encore fait pour aboutir à un beau livre ?




Nous approchons ici, dis-je au maître, d'une grosse objection que j'avais à vous faire... L'obscurité !

C'est, en effet, également dangereux, me répondit-il, soit que l'obscurité vienne de l'insuffisance du lecteur, ou de celle du poète... mais c'est tricher que d'éluder ce travail. Que si un être d'une intelligence moyenne, et d'une préparation littéraire insuffisante, ouvre par hasard un livre ainsi fait et prétend en jouir, il y a malentendu, il faut remettre les choses à leur place. Il doit y avoir toujours énigme en poésie, et c'est le but de la littérature - il n'y en a pas d'autres - d'évoquer les objets.


Connaissez-vous les psychologues ?

Un peu. il me semble qu'après les grandes oeuvres de Flaubert, des Goncourt et de Zola, qui sont des sortes de poèmes, on en est revenu aujourd'hui au vieux goût français du siècle dernier, beaucoup plus humble et modeste, qui consiste non à prendre à la peinture ses moyens pour montrer la forme extérieure des choses, mais à disséquer les motifs de l'âme humaine. Mais il y a, entre cela et la poésie, la même différence qu'il y a entre un corset et une belle gorge...


Je demandai avant de partir à M.Mallarmé les noms de ceux qui représentent selon lui l'évolution poétique actuelle.

Les jeunes gens, me répondit-il, qui me semblent avoir fait oeuvre originale, ne se rattachant à rien d'antérieur, c'est Morice, Moréas, un délicieux chanteur, et, surtout, celui qui a donné jusqu'ici le plus fort coup d'épaule, Henri de Régnier qui, comme de Vigny, vit là-bas, un peu loin, dans la retraite et le silence de sa véranda, et devant qui je m'incline avec admiration. Son dernier livre : "Poèmes anciens et romanesques" est un pur chef-d'oeuvre.
Au fond, voyez-vous, me dit le maître en me serrant la main, le monde est fait pour aboutir à un beau livre...

vendredi 4 janvier 2008

Soller's Love




Il y a eu d'autres lettres, à Palerme, à Syracuse, à Catane ; Sollers en envoyait une par semaine, comme autrefois; et comme autrefois elles s'achevaient toutes par ce mot : Love, qui veut tout dire et ne signifie rien. Était-ce encore un mot d'amour, ou la plus banale des formules ? La tendresse de Sollers avait toujours été si discrète que je ne savais pas combien je pouvais prêter à sa discrétion. Autrefois, quand je lisais les phrases qu'il avait inventées pour moi, je retrouvai ses bras, sa bouche fumante : était-ce sa faute ou la mienne si elles ne me réchauffaient plus ? Le soleil de Sicile grillait ma peau, mais au dedans de moi il faisait toujours froid. Je m'asseyais dans ma véranda,u je me couchais sur le sable, je regardais le ciel brûlant, et je fumais en frissonnant. Certains jours je détestais la mer; elle était monotone et infinie comme son absence; ses eaux étaient si bleues qu'elles me semblaient sucrées; je fermais les yeux ou je m'enfuyais.


mardi 1 janvier 2008

Voici mon commencement à moi





Je suis dans la véranda de ma mère. C’est moi qui y vis maintenant. Je ne sais pas comment j’y suis arrivé. Dans une ambulance peut-être, un véhicule quelconque certainement. On m’a aidé. Seul je ne serais pas arrivé. Cet homme qui vient chaque semaine, c’est grâce à lui peut-être que je suis ici. Il dit que non. Il me donne un peu d’argent et enlève les feuilles. Tant de feuilles, tant d’argent. Oui, je travaille maintenant, un peu comme autrefois, seulement je ne sais plus travailler. Cela n’a pas d’importance, paraît-il. Moi je voudrais maintenant parler des choses qui me restent, faire mes adieux, finir de mourir. Ils ne veulent pas. Oui, ils sont plusieurs, paraît-il. Mais c’est toujours le même qui vient. Vous ferez ça plus tard, dit-il. Bon. Je n’ai plus beaucoup de volonté, voyez-vous. Quand il vient chercher les nouvelles feuilles il rapporte celles de la semaine précédente. Elles sont marquées de signes que je ne comprends pas. D’ailleurs je ne les relis pas. Quand je n’ai rien fait il ne me donne rien, il me gronde. Cependant je ne travaille pas pour l’argent. Pour quoi alors ? Je ne sais pas. Je ne sais pas grand’chose, franchement. La mort de ma mère, par exemple. Etait-elle déjà morte à mon arrivée ? Ou n’est-elle morte que plus tard ? Je veux dire morte à enterrer. Je ne sais pas. Peut-être ne l’a-t-on pas enterrée encore. Quoi qu’il en soit, c’est moi qui ai sa véranda. Je couche dans son lit. Je fais dans son vase. J’ai pris sa place. Je dois lui ressembler de plus en plus. Il ne me manque plus qu'un fils. J’en ai un quelque part peut-être. Mais je ne crois pas. Il serait vieux maintenant, presque autant que moi. C’était une petite boniche. Ce n’était pas le vrai amour. Le vrai amour était dans une autre. Vous allez voir. Voilà que j’ai encore oublié son nom. Il me semble quelquefois que j’ai même connu mon fils, que je me suis occupé de lui. Puis je me dis que c’est impossible. Il est impossible que j’aie pu m’occuper de quelqu’un. J’ai oublié l’orthographe aussi, et la moitié des mots. Cela n’a pas d’importance, paraît-il. Je veux bien. C’est un drôle de type, celui qui vient me voir. C’est tous les dimanches qu’il vient, paraît-il. Il n’est pas libre les autres jours. Il a toujours soif. C’est lui qui m’a dit que j’avais mal commencé, qu’il fallait commencer autrement. Moi je veux bien. J’avais commencé au commencement, figurez-vous, comme un vieux con. Voici mon commencement à moi. Ils vont quand même le garder, si j’ai bien compris. Je me suis donné du mal. Le voici. Il m’a donné beaucoup de mal. C’était le commencement, vous comprenez. Tandis que c’est presque la fin, à présent. C’est mieux, ce que je fais à présent ? Je ne sais pas. La question n’est pas là. Voici mon commencement à moi. Ça doit signifier quelque chose, puisqu’ils le gardent. Le voici.