jeudi 12 avril 2007

Les prospérités du Divers



L'hospitalité fut la vertu prêchée par le faible : sans asile, sans énergie, n'attendant son bien-être que des autres, il dut assurément préconiser une vertu qui lui préparait des abris. Mais quel besoin le fort a-t-il de cette action ?... Toujours mise en usage par lui, sans jamais en tirer rien, ne serait-ce pas une dupe de s'y soumettre ! Or, je vous demande si une action quelconque peut réellement être réputée pour vertu, quand elle ne sert qu'une des classes de la société ?
Dans quels dangers ceux qui l'exercent ne précipitent-ils pas les infortunés qu'ils hébergent ! En les accoutumant à la fainéantise, ils pervertissent les qualités morales de ces hôtes paresseux, qui finiront bientôt par aller loger de force dans vos maisons, quand votre générosité ne leur en ouvrira plus les portes, comme les mendiants finissent par vous voler, quand vous leur refusez l'aumône. Or, en analysant une action quelconque, que devient-elle, je vous prie, quand d'un côté, vous l'observez comme inutile, et de l'autre, comme dangereuse ? Répondez avec franchise, Sarkozette, sera-ce d'une telle action que vous oserez faire une vertu ? et si vous voulez être juste, ne reléguerez-vous pas bien plutôt cette action dans le rang des vices ? N'en doutons point, l'hospitalité est aussi dangereuse que l'aumône. Tous les procédés qui émanent de la bienfaisance, sentiment né de la faiblesse et de l'orgueil, tous généralement sont pernicieux sous une infinité de rapports ; et l'homme sage, cuirassant son cœur à tous ces mouvements pusillanimes, doit se garantir, avec le plus grand soin, des funestes suites où ils nous entraînent.

Les habitants d'une des îles Cyclades sont si ennemis de l'hospitalité, qu'ils se rendent absolument inaccessibles aux étrangers. Ils les redoutent et les détestent, au point qu'ils ne prennent jamais avec leurs mains ce que ceux-ci leur offrent : ils le reçoivent entre deux feuilles vertes, et l'attachent ensuite au bout d'un bâton. Si par hasard un étranger touche leur peau, ils se la purifient sur-le-champ, en frottant la place avec des herbes.

On ne traite avec une certaine tribu des Brésiliens, que dans l'éloignement de cent pas, et toujours les armes à la main.

Les Africains du Zanguébar sont si ennemis de l'hospitalité, qu'ils massacrent impitoyablement tous ceux qui s'avancent dans leur pays.

Les Thraces et les habitants de la Tauride pillèrent et tuèrent pendant des siècles tous ceux qui venaient les visiter.

Les Arabes dépouillent encore aujourd'hui, et réduisent à l'esclavage, tous les êtres que les vents jettent sur leurs côtes.

L'Égypte fut longtemps inaccessible aux étrangers : le gouvernement ordonna de réduire en servitude, ou de tuer, ceux qu'on surprenait le long de la côte.

À Athènes, à Sparte, l'hospitalité était défendue : on punissait de mort ceux qui l'imploraient.

Plusieurs gouvernements s'arrogèrent des droits sur les étrangers : ils les punissaient de mort, et confisquaient leurs biens.

Le roi d'Achem s'empare de tous les navires qui font naufrage sur ses côtes.

L'insociabilité endurcit le cœur de l'homme, et le rend, par ce moyen, bien plus propre aux grandes actions. De ce moment, le vol et le meurtre s'érigent en vertu, et chez les seules nations où cela arriva, l'on vit de grands traits et de grands hommes.

Au Kamtchatka, le meurtre des étrangers est une bonne action.

Les nègres de Louango portent plus loin l'horreur qu'ils ont pour les vertus hospitalières : ils ne souffrent même pas qu'on enterre un étranger dans leur pays.
L'univers entier, en un mot, nous offre des exemples de la haine des peuples qui l'habitent, pour les vertus hospitalières. Et nous devons conclure de ces exemples et de nos réflexions, qu'il n'est rien, sans doute, de plus pernicieux, de plus contraire à sa propre énergie et à celle des autres, qu'une vertu dont l'objet est d'engager le riche à accorder au pauvre un asile dont celui-ci ne profitera jamais qu'à son détriment et à celui de l'individu qui le lui offre. Deux seuls motifs attirent les étrangers dans un pays, la curiosité ou le plaisir de faire des dupes : dans le premier cas, il faut qu'ils paient ; dans le second, il faut qu'ils soient punis.

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