jeudi 15 mai 2008

Et hop !




Un homme qui veut rire, en dépit du bon sens, n'attend pas de trouver du ridicule pour le relever; il le cherche où il n'est pas, il en invente, et travestit tout pour cela. Quoiqu' il y ait peu de choses risibles dans ce monde, comme il y en a peu d'admirables, le rieur veut pourtant qu'on se moque des choses les plus ordinaires et les plus naturelles, et ne souffre point qu'on en traite aucune sérieusement; il ignore que le ridicule, dont il fait son fonds, ne peut tout au plus que servir d'amusement momentané à un homme raisonnable.

« Votre air moqueur est plutôt celui d'un satyre que d'un philosophe;... ce genre humain dont vous riez, c'est le monde entier avec qui vous vivez, c'est la société de vos amis, c'est votre famille, c'est vous-même... Si vous entriez dans un hôpital de blessés, ririez-vous de voir leurs blessures ?... Vous auriez honte de votre cruauté, si vous aviez ri d'un malheureux qui a la jambe coupée, et vous avez l'inhumanité de vous moquer du monde entier qui a perdu la raison !. .. 0 Démocrite, vous dites quelquefois des vérités; mais vous n'aimez rien, et le mal d' autrui vous réjouit. C'est n'aimer ni les hommes, ni la vertu qu'ils abandonnent. »

Voilà ce que je dirais à ceux qui rient, avec le charmant auteur des Dialogues. Je leur dirais encore : qu'il s'en faut de beaucoup que tout soit risible dans les hommes; que nous avons nos vertus et nos vérités, parmi beaucoup de vices et d'erreurs; que ce n'est pas une moindre folie de prendre tout en riant, que de prendre tout sérieusement; que tout ce que la nature a fait est à sa place, tel qu'il doit être, et qu'il est aussi sot d'en rire, que d'en pleurer. Que fera-t-il celui qui traite ainsi toutes choses en badinant ? S'il ne voit plus rien de sérieux, et qui vaille la peine qu'on s'en occupe, où seront ses plaisirs, où seront ses devoirs ? Il n'est plus propre ni aux affaires, ni à la politique, ni aux sciences et aux arts; il devient inutile à la société, et, en même temps, inutile à lui-même; car où prendra-t-il de quoi remplacer ce qu’il quitte ? qui lui donnera des choses plus estimables que celles qu’il dédaigne ? Pense-t-il s’élever au-dessus de la nature en la méprisant, et le malade, qui rit de la santé, en est-il plus sain ?


Aucun commentaire: