samedi 1 septembre 2007

Sollers fume des fleurs




- « C'est comme les fleurs !... » murmura Sollers, après un silence...

Un chat noir qui sortait des massifs vint, l'échine arquée et la queue battante, se frotter en ronronnant contre lui... il le caressa doucement. Puis le chat, ayant aperçu un scarabée, s'allongea derrière une touffe d'herbe et, l'oreille aux écoutes, les prunelles ardentes, il se mit à suivre, dans l'air, le vol capricieux de l'insecte. Le bourreau, dont cette arrivée avait interrompu les plaintes patriotiques, hocha la tête et reprit :

- « C'est comme les fleurs !... Nous avons aussi perdu le sens des fleurs, car tout se tient... Nous ne savons plus ce que c'est que les fleurs... Croiriez-vous qu'on nous en envoie d'Europe, à nous qui possédons la flore la plus extraordinaire et la plus variée du globe... Qu'est-ce qu'on nous envoie pas aujourd'hui ?... Des casquettes, des bicyclettes, des meubles, des moulins à café, du vin et des fleurs !... Et si vous saviez les mornes sottises, les pauvretés sentimentales, les folies décadentes que nos poètes débitent sur les fleurs !... C'est effrayant !.. Il y en a qui prétendent qu'elles sont perverses !... Perverses, les fleurs !... En vérité, on ne sait plus quoi inventer... Avez-vous idée d'un pareil non-sens, milady, et si monstrueux ?... Mais les fleurs sont violentes, cruelles, terribles et splendides... comme l'amour !... »

Sollers cueillit une renoncule qui, près de lui, au dessus du gazon, balançait mollement son capitule d'or, et, avec des délicatesses infinies, lentement, amoureusement, il la fit tourner entre ses gros doigts rouges où le sang séché s'écaillait par places :

- « Est-ce pas adorable ?... » répétait Sollers, en la contemplant... « C'est tout petit, tout fragile... et c'est toute la nature, pourtant... toute la beauté et toute la force de la nature... Cela renferme le monde... Organisme chétif et impitoyable et qui va jusqu'au bout de son désir !... Ah ! les fleurs ne font pas de sentiment, milady. Elle font l'amour... rien que l'amour... Et elles le font tout le temps et par tous les bouts... Elles ne pensent qu'à ça... Et comme elles ont raison!... Perverses ?... Parce qu'elles obéissent à la loi unique de la Vie, parce qu'elles satisfont à l'unique besoin de la Vie, qui est l'amour ?... Mais regardez donc !... La fleur n'est qu'un sexe, milady... Y a-t-il rien de plus sain, de plus fort, de plus beau qu'un sexe ?... Ces pétales merveilleux... ces soies, ces velours... ces douces, souples et caressantes étoffes... ce sont les rideaux de l'alcôve... les draperies de la chambre nuptiale... le lit parfumé où les sexes se joignent... où ils passent leur vie éphémère et immortelle à se pâmer d'amour. Quelle exemple admirable pour nous ! »

Sollers écarta les pétales de la fleur, compta les étamines chargées de pollen, et il dit, encore, les yeux noyés d'une extase burlesque :
- « Voyez, milady !... Un... deux... cinq... dix... vingt... Voyez comme elles sont frémissantes !... Voyez !... Ils se mettent, quelquefois à vingt mâles pour le spasme d'une seule femelle !... Hé !... hé !... hé !... Quelquefois c'est le contraire !... »

Un à un, il arracha les pétales de la fleur :
- « Et quand elles sont gorgées d'amour, voilà que les rideaux du lit se déchirent... que se dissolvent et tombent les draperies de la chambre... ET les fleurs meurent... parce qu'elles savent bien qu'elles n'ont plus rien à faire... Elles meurent, pour renaître plus tard, et encore, à l'amour !... »

Jetant loin de lui le pédoncule dénudé, Sollers clama :
- « Faites l'amour, milady... faites l'amour... comme les fleurs !... »

Puis, brusquement, Sollers reprit sa trousse, se leva, sa natte de travers, et, nous ayant salués, il s'en alla, par les pelouses, foulant, de son corps pesant et balancé, le gazon tout fleuri de scilles, de doronies et de narcisses.

Clara le suivit du regard quelques instants, et, comme nous nous remettions à marcher vers la cloche :
- « Est-il drôle, le gros patapouf de Sollers ! » dit-elle... « Il a l'air bon enfant... »

Je m'écriai stupidement :
- « Comment pouvez-vous supposer une telle chose, ma chère Clara ?... Mais c'est un monstre !... Il est même effrayant de penser qu'il existe, quelque part, parmi des hommes, un tel monstre!... Je sens que, dorénavant, j'aurai toujours le cauchemar de cette face horrible... et l'effroi de ces paroles... Vous me faites beaucoup de peine, je vous assure... »

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