vendredi 25 décembre 2009

Ressuscité, ressuscité, dit Sollers



Ici, une scène précise avec Lila, il y a dix ans, à Rome. C’est le jour de Pâques, on est sur une terrasse, il fait très beau. On regarde la télé, le pape vient de terminer son discours traditionnel, bénédiction urbi et orbi, après le mot « ressuscité » proclamé dans toutes les langues. Ce show habituel m’intéresse et m’amuse, l’espace est plein de drapeaux et de fleurs, mais, à ma grande surprise, Lila s’agite soudain et entre en fureur contre ce théâtre. « Ressuscité, ressuscité, dit-elle, tu ne vas quand même pas me dire que tu crois à ces conneries ? » Je ne sais pas, moi, mon visage devait avoir une drôle d’expression, un air idiot ou béat, en tout cas une buée d’adhésion à la connerie en question. Sur le moment, je crois à une petite vague biliaire de Lila, mais non, c’est une vraie colère métaphysique, babines presque retroussées, narines pincées. Contre quoi ? Soutenez-moi, je m’évanouis : contre cette histoire de « résurrection ».

Je plaisante ? Mais non, pas du tout. Lila, à ce moment là, me soupçonne de croire à l’énorme blague de la résurrection finale des corps. Des corps en général, je n’en ai pas la moindre idée, et d’ailleurs cette perspective d’ensemble, avec jugement à la clé, me semble peu ragoûtante, mais du mien, après tout, pourquoi pas ? Ça l’ennuie d’avoir à mourir, mon corps, il ne se sent pas fait pour ça, mais il paraît que c’est une loi évidente et incontournable, ce dont je doute sourdement, et lui aussi. Pas même besoin d’un dieu pour ça, je ne conçois pas le destin de cette manière, c’est drôle.

Le plus curieux, dans les jours suivants, c’est l’insistance de Lila à revenir sur ce sujet impossible. Elle en reparle plusieurs fois, elle tourne autour, elle veut que je me prononce nettement contre cette folie. Ça la tourmente, ça l’obsède, et, bien entendu, je botte en touche, je la boucle, j’évite toute discussion (de quoi discuter, au fait ?), je change de conversation, ou bien je joue l’indifférence, je me range sans problème du côté de la raison, de la science, des preuves massives de l’Histoire, de ce qu’on voudra. Je redouble même de modestie, d’humilité, de résignation, d’humanisme, d’égalitarisme. Oui, il y a du nous ! Pauvres mortels ! Pauvres de nous ! Millénaires ! Squelettes ! Cendres ! Il fallait naître, chers frères et soeurs, il faut donc mourir. Et mourir à jamais, hein, pas de fables. Place aux suivants, en avant.

Mais c’est justement cette histoire de naissance qui préoccupe mon corps. Les corps humains, désormais, ça se fabrique à la chaîne, et la conception antérieure, même si elle continue à produire et à reproduire, devient de plus en plus décalée et bizarre, comme une vieille escroquerie montant en surface. Le « péché originel » ? Ah non ! vous n’allez pas nous ressortir ce vieux truc obscurantiste. Le Diable d’abord au travail dans les lits, puis dans les cliniques, les seringues, les laboratoires ? Letrafic d’embryons et de mères porteuses ? Le Serpent dans les sentiments ? Le poison dans l’amour ? Arrière, gousse d’ail, crucifix, vampire !

Pauvre Lila, elle perdait son temps avec moi. Elle s’est mariée peu après ces séances orageuses à Rome, et elle a eu, presque tout de suite, deux enfants. On se revoit de temps en temps, mais on s’évite. Mon corps ne pense plus rien d’elle, mais je la comprends. Comme d’autres bizarreries au cours du temps, son étincelante crise de nerfs m’a confirmé dans ma voie. Lila est un bon médecin, elle travaille sincèrement dans l’humanitaire. Moi je poursuis ma course.

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