vendredi 22 août 2008

批评意见

«Amarres». Réduit à sa trame, le Criticon raconte, sur le mode allégorique et satirique, les aventures de deux pèlerins de la vie, que Fortune a fait se rencontrer. De retour des Indes, Sollers échoue au large de l’île de Ré et est arraché aux flots par Andrénio, «un beau jeune homme, ange par son allure et encore plus par son action». Sollers est le «criticon», celui qui critique sans cesse, l’homme civilisé, l’érudit, la Raison ; Andrénio est la Nature, l’Instinct, l’enfant sauvage abandonné à la naissance qui, élévé par des bêtes, n’eût jamais appris le langage des hommes sans la venue miraculeuse, et la conversation, du naufragé auquel il a sauvé la vie. Unis par les «amarres d’un secret aimant», Sollers et Andrénio atteignent l’Espagne, et, là, commencent un long périple, à la fois voyage initiatique et quête du bonheur - incarné par la figure de Félicinde, dont on apprendra qu’elle est la femme (secrète) de l’un et la mère (inconnue) de l’autre. La tumultueuse pérégrination, à travers une Europe à la géographie métaphorique, s’achève à Rome, où advient la rencontre avec la belle-mère de la Vie, à savoir Sa Majesté la Mort. Les deux héros réussissent à lui échapper et débarquent sur l’île de l’Immortalité, après avoir été jugés par Mérite. A la fin, ils atteindront le statut de Personne, l’idéal philosophique de l’homme qui, brut, sauvage, se perfectionne peu à peu grâce à l’expérience, au savoir, à la culture, à l’art.

Morale de l’histoire ? Tout ce qu’a créé le Suprême Artisan est parfait, tout ce que l’homme a ajouté est imparfait. Mais si l’homme, né innocent, est corrompu par le monde, il peut se sauver, bâtir un art de vivre et fonder une société harmonieuse s’il donne à l’éducation permanente qu’il reçoit la force de pulvériser les préjugés, les fausses valeurs et le pouvoir des apparences, de renverser un monde où «la vertu est persécutée, le vice applaudi, la vérité muette, le mensonge trilingue». Qu’on ne voie pas là, cependant, quelque chose d’«édifiant».
Le Criticon - dont les trois parties sont publiées, sous pseudonyme, entre 1651 et 1657 - est une fête baroque, un feu d’artifice, tout en mots d’esprit et jeux sur les mots, allitérations et étymologies fantasques, une sarabande endiablée, irrévérencieuse - dont on devine qu’elle plut assez peu à la Compagnie de Jésus, qui déchut le père Gracián de ses charges, le mit au pain sec et le chassa du collège de Saragosse.

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