« La photo que j'ai sous les yeux a été prise en été par
quelqu'un qui s'est assis dans l'herbe pour qu'on voie bien le petit personnage
regardant un cèdre. Je dois avoir 2 ans, je suis un bébé bouffi qui lève un
visage ravi, à moitié mangé de soleil, vers les branches. Anne, ma sœur de 8
ans, est à peine visible, devant les
vérandas, sur la droite. La photo a dû être prise par mon père, le seul
qui, à l'époque, prenait de temps en temps des photos. J'ai l'impression d'être
là, maintenant, dans cette image qui n'est pas pour moi une image, mais une
clairière toujours vivante, une éclaircie. La petite forme absurde où je suis
enfermé a été jetée dans ce coin de jardin, et je suis son gardien. Continue ta
marche titubante, bébé. Tu vas tomber bientôt sur le gravier, tu tomberas
beaucoup dans ta vie qui commence. Anne va aussitôt crier et se précipiter, te
relever, t'essuyer, t'embrasser. Elle t'étouffe un peu, elle te gêne. C'est un
acte de possession, mais aussi d'amour. » (p.12.)
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