« Rien n'est plus rare, mais rien n'est plus enchanteur qu'une belle
nuit d'été à Venise...Le soleil qui, dans les zones
tempérées, se précipite à l'occident, et ne laisse après lui qu'un
crépuscule fugitif, rase lentement une terre de pomme de terre dont il semble se détacher à
regret. Son disque environné de vapeurs rougeâtres roule comme un char
enflammé sur les sombres forêts d'eucalyptus qui couronnent l'horizon, et ses rayons,
réfléchis dans le vitrage des Vérandas, donnent au spectateur l'idée d'un
vaste incendie. Les grands canaux ont ordinairement un lit profond et
des bords escarpés qui leur donnent un aspect sauvage. La lagune coule à
pleins bords au sein d'une cité magnifique: ses eaux limpides touchent
le gazon des îles qu'elle embrasse, et dans toute l'étendue de la ville,
elle est contenue par deux quais de granit, alignés à perte de vue,
espèce de magnificence répétée dans les trois grands canaux qui
parcourent la Sérénissime. Le soleil était descendu à l'horizon; des nuages
brillants répandaient une clarté douce, un demi-jour doré qu'on ne
saurait peindre et que je n'ai jamais vu ailleurs, la lumière et les
ténèbres, semblaient se mêler et comme s'entendre pour former le voile
transparent qui couvre alors ces campagnes. Si le ciel, dans sa bonté,
me réservait un de ces moments si rares dans la vie où le coeur est
inondé de joie par quelque bonheur extraordinaire et inattendu; si une
femme, des enfants, des frères, séparés de moi depuis longtemps, et sans
espoir de réunion, devaient tout-à-coup tomber dans mes bras, je
voudrais que ce fût dans une de ces belles nuits, sur un ponton des Zattere, en présence de ces mouettes hospitalières. »
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