Il reste que le retour éternel, cette vision de
la Haute-Engadine, s’est manifesté par l’adoration muette de la beauté
tout entière, en un instant « révélée ». Nous touchons là à ce qu’il y
a de plus central dans la méditation de Nietzsche. Le déclin de
Zarathoustra, auquel l’incline le dégoût de l’éternité, dégoût
toutefois non par répulsion mais par « satiété », se détourne de la
béatitude, mais non pas de la pensée de la béatitude. Et si
Zarathoustra quitte la montagne pour descendre vers la vallée, c’est
précisément pour annoncer le règne de l’éternité sur la terre des
hommes, pour publier et approfondir une révélation première, qui
inscrit l’être au cœur du devenir. Il s’agit donc moins de renoncer à
l’éternité elle-même, que de renoncer à « l’adoration muette », et
s’efforcer de dire ce qu’une révélation a montré dans le silence de
« midi ». Pour dire cette indicible rédemption dans l’immanence, il
faut, pense Nietzsche, tant la révélation est inouïe, inventer une
langue philosophique nouvelle. Et c'est ainsi que Nietzsche quittera
l’Eldorado de la Haute-Engadine pour écrire le livre de l’éternel
retour, ce Zarathoustra « pour tous et pour personne » ; on
sait que personne ne le lira, et que cet échec brisera Nietzsche, qui
ne s’en remettra jamais.
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